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Archives et histoire de l’ethnologie de la France

Introduction : Arrêt sur archives

Les archives scientifiques suscitent actuellement un intérêt croissant, comme en témoigne le large éventail de réflexions dont elles ont fait l’objet ces dernières années, réflexions sous forme de projets de sauvegarde et de valorisation, de colloques ou journées d’études, d’enquêtes, voire de numéros spéciaux et dossiers de revues. Le "goût de l’archive", pour reprendre l’expression d’Arlette Farge [1], s’est ainsi transmué en désir d’archives, notre société étant régie par le devoir d’archivage, qu’il soit institutionnel ou personnel, collectif ou singulier [2].

- Une quête "archivarique" [3] des origines

Pour ne considérer que le champ disciplinaire de l’ethnologie, il est intéressant de mentionner trois manifestations marquantes (par ordre chronologique) :
. 1999, la journée d’études sur « Les archives ethnographiques », organisée conjointement par le Laboratoire d’anthropologie sociale (Collège de France) et le Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (Université Paris X-Nanterre) [4].
. 2002, le dossier "Archives et Anthropologie" [5] de la revue Gradhiva, revue d’histoire et d’archives de l’anthropologie.
. 2003, la journée d’études sur "Les archives de la RCP Châtillonnais" (RCP-Recherche Coopérative sur Programme) qui s’est tenue à la Maison des Sciences de l’Homme de Dijon, à l’initiative de la MSH Dijon et du GARAE (Groupe Audois de Recherche et d’Animation Ethnographique) de Carcassonne [6].
Tout en révélant une quête de légitimité scientifique pour l’ethnologie, ces différentes manifestations s’inscrivent bien dans le mouvement actuel de mobilisation autour des archives des sciences humaines et sociales, et accentuent positivement l’intérêt historique et patrimonial de cette mémoire "abyssale" [7]. Toutefois ce "retour à l’archive" [8] ne concerne que des fonds déjà constitués et identifiés. Que ces sources aient été secrétées par des recherches collectives ou personnelles, voire privées, ne change rien à l’affaire, on sait globalement que les principales institutions qui jalonnent l’histoire de l’ethnologie hébergent des gisements particulièrement intéressants, mais qui sont plus ou moins exploitables selon l’état d’avancement de leurs inventaires. C’est le cas notamment du Musée de l’Homme avec les fonds Germaine Dieterlen, Alfred Métraux ou Paul Rivet, entre autres ; du Musée des Arts et Traditions Populaires, dont le Service historique détient les fonds Van Gennep, Charles-Brun, Delarue, Maget, Van Gennep, etc. (sans évoquer les archives des grandes enquêtes nationales et missions ethnographiques) ; du Laboratoire d’ethnologie de Nanterre et de sa bibliothèque, avec notamment le fonds Marcel Griaule ; ou encore du LAS (Laboratoire d’Anthropologie Sociale), avec par exemple le fonds Robert Hertz.
Ces lieux de l’archive coulent de source, si l’on peut dire, seule subsiste la question du traitement, de la communication, voire de la valorisation de ces documents en direction du public.

Or, il est une entreprise pionnière en la matière que nous voudrions exposer maintenant, car cette récente "quête des origines" de la discipline a connu son prélude grâce à un programme de recherches intitulé « Les Sources de l’ethnologie de la France », programme initié en 1996 par l’Ethnopôle-Garae de Carcassonne, en collaboration avec la Mission du patrimoine ethnologique du ministère de la Culture.

- Les sources de l’ethnologie de la France ou le patrimoine de l’ethnologie

La recherche sur les "Sources et genèses de l’ethnologie de la France" vit le jour en 1997 au GARAE [9], qui est tout à la fois lieu de recherches, d’expositions et centre de documentation spécialisé dans les revues d’ethnologie, régionales, nationales et européennes. En 1996, le GARAE venait de recevoir l’appellation d’"Ethnopôle" du ministère de la Culture, et son champ d’activités se déployait principalement autour de trois thèmes fondateurs : « Ethnologie et littérature », « Ethnologie du monument », et « Patrimoine de l’ethnologie ». C’est bien sûr au sein de cette dernière thématique (le patrimoine de l’ethnologie) qu’à pris place cette recherche sur "Les fonds ethnographiques du domaine français" [10].
Ce programme se veut bipartite à double titre. D’une part, parce que le terme "sources" de son intitulé peut s’entendre selon deux acceptions différentes, soit dans le sens de "documents", "textes originaux" (fonds d’archives), soit dans le sens "d’origine", "d’émergence" de la discipline (histoire de l’ethnologie). Et d’autre part, parce qu’il associe étroitement recherche et documentation.
Ce projet émane en effet d’un groupe de travail, composé d’ethnologues et de documentalistes, qui s’est régulièrement réuni au sein de l’Ethnopôle Garae deux années durant. Les matinées étaient consacrées à la définition des fonds ethnographiques et à la construction d’une base de données ; les après-midi étant voués à une réflexion plus étendue, dans le cadre d’un séminaire "hors les murs" de l’EHESS, inscrit sous le titre de « Sources et genèse de l’ethnologie de la France ». Ce séminaire, dirigé par Daniel Fabre (EHESS) et Claudie Voisenat (ministère de la Culture), faisait intervenir conservateurs, conseillers à l’ethnologie, archivistes, bibliothécaires et chercheurs venus présenter des fonds d’archives à intérêt ethnographique.

- Définition d’un "fonds ethnographique"

Au préalable, une enquête nationale avait été lancée par le GARAE afin de « répertorier les fonds documentaires spécialisés en ethnologie de la France et de l’Europe ». Cette enquête a permis de mesurer l’extraordinaire diversité des producteurs de savoirs sur les "mœurs et coutumes", de la fin du 18e siècle à nos jours ; la variété des échelles et des programmes de l’érudition, la vitalité de la sociabilité génératrice d’un savoir largement souterrain, et pourtant extrêmement structurant. En outre, les résultats de cette enquête ont largement contribué à arrêter une définition opératoire de ce qu’est un "fonds ethnographique" (voir la présentation d’ArchivEthno).
Ces fonds d’archives sont donc très divers. Certains, pour les plus récents, produits par des ethnologues professionnels, des laboratoires de recherche, des musées, etc., relèvent clairement de la discipline ethnologique. D’autres plus anciens, résultent de démarches que l’on qualifie aujourd’hui d’ethnographiques, même si elles s’inscrivaient à l’époque dans des registres de savoirs beaucoup plus larges : il est en effet assez rare qu’un érudit du XIXe siècle ait été véritablement spécialisé en ethnologie, quelle que soit la définition du moment, le plus souvent, il était également historien ou archéologue, naturaliste, géographe...
Mais il est aussi fréquent que des informations d’ordre ethnographique aient été collectées dans d’autres intentions que la stricte connaissance scientifique. Ainsi, nombre d’ethnographes, loin d’être de purs défenseurs des traditions, étaient des réformateurs très engagés dans l’action pédagogique, sociale ou/et politique, d’autant plus conscients des changements, transformations et réformes qu’ils en étaient les promoteurs. Par ailleurs, la connaissance ethnologique locale a très souvent coïncidé, à partir de la Troisième République, avec les mouvements de conservation ou de restauration linguistique et littéraire.
Il en résulte des fonds spécifiques que l’on ne peut strictement qualifier d’ethnologiques, mais qui constituent des sources précieuses pour la connaissance ethnographique de la société de l’époque, et qui de surcroît nous renseignent sur la façon dont ces données étaient impliquées dans les pratiques politiques et culturelles. A ce stade de définition, on peut ainsi répartir l’ensemble de ces documents en trois catégories principales :

. Les archives de l’érudition et de la recherche ethnographique
Les "papiers d’érudits" et les archives des chercheurs résultent de l’accumulation du savoir par un individu. Notes manuscrites, fiches mais aussi journaux de terrain, correspondances, articles et ouvrages, plus ou moins achevés, présentent les différentes étapes du travail intellectuel, et permettent parfois d’entrer véritablement dans l’atelier d’une recherche. Dans ce cas, le fonds est le plus souvent désigné par le nom de son créateur, comme par exemple les fonds Luzel, Momméja, Perbosc...
Par ailleurs, musées, sociétés savantes, laboratoires de recherche, revues, etc., toutes ces institutions ont sécrété des archives dont l’étude permet, en plus de retracer leur activité (enquêtes, collectes, expositions, congrès...), d’apporter un éclairage particulièrement signifiant sur des savoirs ou opérations de connaissance spécifiques. C’est le cas, par exemple, des monographies issues du Questionnaire de l’Académie celtique (1807), mais aussi des fonds thématiques (artisanat, techniques agricoles, architecture rurale...) réunis par une institution donnée, à un moment de son histoire. Les musées en sont bien sûr particulièrement riches, et tout spécialement le Musée National des Arts et Traditions Populaires dont le service des archives est un formidable réservoir de données.

. Les archives de l’aménagement et du "gouvernement" de la société
Depuis le XVIIIe siècle, une large part du savoir sur la société française a été rassemblée et élaborée dans le cadre d’entreprises de transformation des sociétés locales. Exemples, l’inventaire des savoirs techniques conduit par les sociétés d’agriculture, la transcription des usages juridiques locaux, le repérage à visée censoriale des "erreurs populaires" en matière de croyances, médecine ou langage...

. Les archives du local
De la célébration des "petites patries" à l’émergence d’entreprises d’enquêtes systématiques sur les savoirs et pratiques populaires, des quantités importantes d’écrits, d’images et de sons ont été produits à l’échelle locale depuis la seconde moitié du XIXe siècle.

Il est bien entendu qu’il s’agit là d’une définition particulièrement extensive de la notion de fonds ethnographique, mais elle permet de bien saisir le dessein d’ArchivEthno dans toute sa richesse et complexité.



Florence Galli-Dupis,
ingénieur CNRS, IIAC / LAHIC


Notes :

[1] Le Goût de l’archive, collection « La Librairie du XXe siècle », éditions du Seuil, 1989, réédité en 1997 dans la collection « Points Histoire ».

[2] En référence à la présentation de Philippe Artières "Espaces d’archives", publiée dans la revue Sociétés & Représentations (CREDHESS, Université de Paris I), n° 19, avril 2005, p. 5-11, dont il a coordonné avec Annick Arnaud le dossier intitulé "Lieux d’archive. Une nouvelle cartographie : de la maison au musée" (p.5-289). Cette publication résulte du colloque EHESS de juin 2003 qui clôturait le séminaire annuel du LAHIC sur "L’archive comme pratique sociale".

[3] Adjectif dérivé du néologisme particulièrement éloquent créé par Jean Jamin et Françoise Zonabend pour leur article d’ouverture du dossier "Archives et anthropologie" de la revue Gradhiva (N°30/31, 2001/2002, p.57 à 65). Il s’intitule en effet "Archivari", un clin d’œil à "archives+varia" ou au charivari carnavalesque ?

[4] Cette "journée-atelier" s’est tenue le 2 février 1999 à la Maison René-Ginouvès à Nanterre, sous l’égide de Marion Abélès et Marie-Dominique Mouton, responsables des bibliothèques respectives de ces deux centres.

[5] Dossier établi et présenté par Jean Jamin et Françoise Zonabend, p. 57 à 196 du n° 30/31, 2001/2002 de la revue Gradhiva dont la politique éditoriale est résumée dans son sous-titre : "revue d’histoire et d’archives de l’anthropologie". Par ailleurs, Jean Jamin anime depuis novembre 2001 un séminaire de l’EHESS intitulé "Archives et sciences sociales".

[6] Cette journée d’études s’est déroulée le 12 novembre 2003 et s’intitulait : "Les archives de la RCP du Châtillonnais : état des lieux et témoignages". Intervenaient à cette journée Isaac Chiva (EHESS), Daniel Fabre (EHESS), Gilles Laferté (INRA), Bertrand Müller (Univ. de Genève), Marie-Claude Pingaud (sur les archives Minot), Jean Raisky (ethnomusicologue), Serge Wolikow (Univ. de Bourgogne) et Françoise Zonabend (EHESS). La MSH Dijon coordonne actuellement une enquête nationale sur l’ :"Etat des lieux des archives des sciences humaines et sociales en France", en collaboration avec les MSH de Nanterre et d’Aix-en-Provence. Ce projet dénommé ARSHS (Archives de la Recherche en Sciences Humaines et Sociales) est mené en partenariat avec la Direction des Archives de France et la Direction du département SHS du CNRS.

[7] Pour reprendre l’image d’Arlette Farge qui dans Le Goût de l’archive déjà cité, définit l’archive comme ayant à voir avec les « abysses de l’histoire ».

[8] Selon l’expression de Roger Chartier dans Au bord de la falaise : l’histoire entre certitude et inquiétude, Albin Michel, 1998 (p. 10).

[9] Le GARAE (Groupe audois de recherche et d’animation ethnographique) a été créé à Carcassonne en 1981 par Daniel Fabre et son équipe alors engagés dans une recherche collective sur les Pyrénées audoises.

[10] Pour reprendre le titre de l’article publié par Daniel Fabre et Claudie Voisenat dans la rubrique "Informations" du n° 25 (1999) de la revue Gradhiva, p. 114-117.


Sommaire :

- Une quête "archivarique" des origines

- Les sources de l’ethnologie de la France ou le patrimoine de l’ethnologie

- Définition d’un "fonds ethnographique"


Documents visuels :