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Camille de Mensignac (1850-1926) et ses "Recherches ethnographiques sur la salive et le crachat" (1889-1891)



BIOGRAPHIE

On sait peu de choses sur Camille de Mensignac, mise à part qu’il est né et mort à Bordeaux (17 mars 1850-22 janvier 1926), qu’il était archéologue, membre de la Commission des Monuments historiques de la Gironde, et conservateur du Musée préhistorique, du Musée des Antiques et du Musée d’Armes de Bordeaux...
La notice nécrologique que lui consacre en 1926 Alexandre Nicolaï, président de la Société d’Archéologie de Bordeaux, ne nous en apprend guère plus, si ce n’est que, nourrissant une véritable passion pour l’archéologie, il abandonna sa première profession [“Administrateur de la Caisse d’Epargne”] « pour se livrer tout entier à l’étude de l’histoire et des monuments de la ville de Bordeaux ».
Mais laissons poursuivre l’auteur de cet unique hommage posthume retrouvé :
« A la faveur des grands travaux de voirie entrepris à cette époque, (…) on affouilla profondément le sol (…) on s’accoutuma aux incessantes visites, au contrôle de tous les instants de ce nouvel inspecteur improvisé en chapeau haut de forme, en cravate blanche, en redingote noire, cette légendaire redingote qu’il ne quitta pas un jour de sa vie, et cette sévère tenue ne l’empêchait pas de descendre dans les tranchées (…). Rien n’échappait à son investigation ; combien de stèles funéraires inscrites, combien de cippes, combien d’autels, combien de sculptures ne lui doit-on pas non seulement d’avoir déchiffrés mais surtout d’avoir sauvés.
Et le tout allait enrichir un Musée municipal des Antiques (…).
Camille de Mensignac à la faveur d’un nombre énorme de sondages avait reconstitué (…) le tracé de l’enceinte gallo-romaine et ainsi que l’emplacement de la ville romaine de Burdigala du Ier au IIIe siècle
(…)
Au fur et à mesure que se tarissaient les sources gallo-romaines, Mensignac dut s’adonner à d’autres sujets d’études et il se rejeta sur la Moyen-âge, et la Renaissance entre temps aussi il s’intéressa au folk-lore girondin.
Nous fûmes particulièrement heureux d’obtenir du Ministère de l’Instruction publique pour Camille de Mensignac, la rosette d’officier de l’Instruction publique à l’occasion de la célébration de notre Cinquantenaire
(…).
Avec Camille de Mensignac qui fut pendant près de 42 ans le conservateur du musée archéologique de notre ville disparaît une physionomie bien bordelaise. En lui, l’Archéologie perd un savant, notre Société un de ces collaborateurs les plus féconds, chacun de nous un collègue des plus aimables, beaucoup un ami de vieille date
(…) ».
(Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique de Bordeaux, tome XLIII, 3e-4e trimestres 1926, Bordeaux, Imprimerie Bière, 1929, p. 2-4).


SOCIABILITE

Camille de Mensignac contribua principalement aux travaux des deux sociétés savantes suivantes :

. La Société Archéologique de Bordeaux (créée en 1873) dont il devient membre en 1875 et durant 54 ans. Il y est élu secrétaire adjoint dès 1878, puis secrétaire général de 1879 à 1885, vice-président en 1892, et enfin président en 1894, poste qu’il occupera encore par quatre fois, en respect des durées de mandats fixées par les statuts de ladite société.

. La Société d’Anthropologie de Bordeaux et du Sud-Ouest (fondée en 1884).


L’ARCHEOLOGUE

Camille de Mensignac communiqua et publia beaucoup sur les découvertes archéologiques mises au jour « à la faveur des grands travaux de voirie entrepris à cette époque » où « on éventra des quartiers entiers privés d’air et de lumière », et « on perça ces grandes et belles artères », selon les codes haussmanniens qui gagnent alors les villes de province.
Mensignac est en effet membre de la Commission départementale des Monuments historiques et des Travaux publics, une des premières commissions départementales (elle est créée en 1839, deux ans après l’institution parisienne du Comité des Arts et Monuments et de la Commission des Monuments historiques).
Donc Mensignac, “archéologue” au sein de cette commission, est appelé en tant que tel à l’occasion de chaque trouvaille archéologique bordelaise ou régionale.
C’est un archéologue au sens étymologique du terme et il fera bénéficier la Société Archéologique de Bordeaux de ses nombreuses études comme, entre autres, la “Description d’un lot de monnaies romaines découvert dans le département de la Gironde” ; “Le dieu tricéphale de la commune de Condat (Dordogne)” ; “Importante découverte archéologique 2 et 4 rue du Pont de la Monsque à Bordeaux” ; “Notes sur l’aqueduc gallo-romain de la place Sainte-Eulalie de Bordeaux” ; “Note sur le Jupiter gaulois à la roue découvert à Bordeaux” ; “Notice sur le cimetière gallo-romain du cours Pasteur à Bordeaux”, etc.


L’ŒUVRE ETHNOGRAPHIQUE

Au niveau anthropologique, Camille de Mensignac se situe d’un point de vue évolutionniste du côté de la quête des survivances préhistoriques, qu’elles soient historiques ou exotiques. Mensignac est en effet contemporain de l’archéologue préhistorien Emile Cartailhac (1845-1921), auteur notamment de L’Age de pierre dans les souvenirs et superstitions populaires (Paris, C. Reinwald, 1878). Il cherche donc à retrouver les traces, vestiges, survivances des premiers hommes, que ce soit dans les objets exotiques des « sauvages actuels », ou dans les objets et traditions populaires des “primitifs de l’intérieur”.

Comparatisme exotique

Ainsi, lorsque Camille de Mensignac, alors « conservateur du Musée préhistorique et ethnographique de Bordeaux » présente devant la Société d’anthropologie de Bordeaux « un certain nombre d’objets africains, tels que : « haches, sabres, pointes de sagaies », il déclare :
« Ces spécimens sont l’œuvre des Pahouins, peuplade qui habite le Haut Ogôoué (Afrique occidentale).
Les manifestations de l’art parmi les différents peuples offrent un intérêt considérable. Il est curieux et instructif de suivre les évolutions du travail du métal à travers les âges et de comparer l’industrie des sauvages actuels avec celles des peuples depuis longtemps disparus.
L’analogie de ces armes avec celles de l’époque halstatienne nous a frappé, et il nous a semblé qu’une étude comparative aurait de l’attrait
 ».
(Bulletin de la Société d’Anthropologie de Bordeaux et du Sud-Ouest, tome IV, 1887, p. 51-52)

Comparatisme historique

D’autre part, en prologue à l’article intitulé “Us, coutumes et jeux du Bordeaux d’autrefois”, Camille de Mensignac écrit :
« Il est utile, croyons-nous, de publier tout ce qui concerne les anciens usages, rites, croyances et traditions ; on peut en tirer de précieuses indications sur les moindres détails de la vie publique et privée au Moyen-âge et aux temps modernes ; c’est une source de renseignements pour l’archéologie et l’histoire locale ».
(Bull. Société Archéologique de Bordeaux, tome XLI, 1924, p. 9).

“Faire de l’anthropologie nationale”

Membre de la Société d’Anthropologie de Bordeaux, Mensignac n’hésite pas à lui soumettre ses collectes « sur quelques coutumes, usages, superstitions, remèdes, dictons, proverbes, devinettes, chansons et berceuses populaires qui existent actuellement dans le département de la Gironde, car,  » estime-t-il, « en publiant dans nos actes les traditions et superstitions populaires, nous faisons de l’anthropologie nationale ».
(“Introduction”, Notice sur plusieurs coutumes, usages, préjugés, croyances…, p. 111).

La tradition populaire, fossile immatériel ?

Enfin, lorsqu’il publie ses Recherches ethnographiques sur la salive et le crachat…, l’introduction en est tout aussi éloquente quant à la question des survivances :

« Les superstitions et croyances populaires offrent pour l’histoire de l’homme une mine précieuse d’informations ; rien ne reflète mieux qu’elles le caractère intime des races où elles ont pris naissance et des générations qui se les ont transmises.
Le surnaturel et le merveilleux, apanage de l’homme civilisé aussi bien que de l’homme sauvage, résistent aux enseignements de l’expérimentation, et la science, malgré ses progrès, n’a pu parvenir encore à déraciner les superstitions qui ont bercé notre enfance.
Aujourd’hui encore, en France, en Europe, et nous pouvons ajouter dans tout le monde, il n’y a pas de ville, de bourg, de commune ou de village où l’on ne trouve des vestiges plus ou moins vivaces des superstitions d’un autre âge. L’homme meurt, les générations passent, les sociétés disparaissent et superstitions restent et se perpétuent de père en fils, à peine modifiées dans la succession des siècles.
Celles que nous publions aujourd’hui datent de la plus haute antiquité et ont joué un rôle important dans le vaste champ de la crédulité humaine (…).
Cette notice qui est loin d’être complète (…) prouve cependant d’une manière évidente que les croyances, coutumes, superstitions et préjugés relatifs à la salive et au crachat, sont encore aussi vivaces dans l’esprit de nos populations actuelles qu’ils l’étaient anciennement chez les Grecs, les Romains et autres peuples de l’antiquité païenne
 ».
(Bulletins de la Société d’Anthropologie de Bordeaux et du Sud-Ouest, tome VI, 1890, p. 3-5).


INFLUENCES ET MOTIVATIONS

Coutumes, usages et chansons populaires de la Gironde

On sait que c’est au préhistorien François Daleau (1845-1927) que revient l’initiative de la collecte des matériaux que Mensignac publie dans la “Notice sur plusieurs coutumes, usages, préjugés, croyances, superstitions, médailles, prières, remèdes, dictons, proverbes, devinettes et chansons populaires” (« notice » qui compte plus de 230 pages !).
En effet, le procès-verbal de la séance du 10 février 1884 de la Société Archéologique de Bordeaux fait état du projet d’étude de François Daleau, et mentionne la proposition de Camille de Mensignac à son endroit.
Ainsi y est-il consigné que :

« M. Daleau fait part à la Société d’un projet qu’il a de réunir les devinettes, dictons, proverbes et légendes répandus dans le département de la Gironde, comme cela a été fait pour d’autres départements.
Voulant donner à cette étude tout le développement qu’elle comporte, notre honorable collègue demande si quelques membres de la Société ne voudraient pas l’aider en lui donnant les renseignements qu’ils connaîtraient ou qu’ils pourraient recueillir sur ces diverses questions ; pour cela il mettrait à leur disposition un questionnaire préparé à cet effet
 ».

Suit :

« M. de Mensignac propose que le questionnaire de M. Daleau soit imprimé par les soins de la Société, et qu’un exemplaire soit envoyé à chacun des membres. On pourrait aussi en adresser à MM. les curés, les instituteurs et autres personnes susceptibles par leur situation de fournir des renseignements ».

Dans cette entreprise, il semble d’ailleurs que Camille de Mensignac fut plus rapide que le maître d’œuvre dudit projet, puisque François Daleau énonce (ou déplore ?), dans un courrier daté du 25 novembre 1888 :
« Un de mes confrères de la même société, M. de Mensignac, sachant que je préparais ces dites notes, a pris les devants et a remis, avant moi, une notice sur les croyances, coutumes et usages qui vient de paraître dans le dernier bulletin de la Société d’Anthropologie de Bordeaux [de 1888] ».

François Daleau publiera ses “Notes pour servir à l’étude des traditions, croyances et superstitions de la Gironde” dans les pages du même bulletin, en janvier 1889.

La salive et le crachat

Enfin, pour ses “Recherches ethnographiques sur la salive et le crachat…”, il en révèle l’origine dans l’introduction même de cette étude comme suit :
« Il y a deux ans environ qu’en feuilletant le journal l’Homme, année 1884, nous fûmes vivement intéressé par la lecture d’un modeste travail de m. Paul Sébillot sur le Crachat et la Salive dans les Superstitions et les Croyances populaires [L’Homme, 1884, p. 584-595].
C’est la lecture de cet opuscule qui nous suggéra alors l’idée de détacher des nombreuses notes que nous recueillions depuis plusieurs années, sur les croyances, coutumes, superstitions, préjugés, etc., relatifs au corps humain et sur les remèdes populaires dans lesquels entrent, comme agents thérapeutiques, la salive, le cérumen, l’urine, la fiente, la crasse, etc., celles relatives à la salive et au crachat et d’en former un article spécial ».

Et de conclure :
« (…) nous devons particulièrement remercier ici notre honoré maître, M. Paul Sébillot, chef du Cabinet et directeur du personnel au Ministère des Travaux Publics, qui, dans une charmante lettre à nous adressée le15 octobre dernier, en réponse à la nôtre, nous accorde l’autorisation de prendre dans son article sur le crachat et la salive ce qui nous conviendra ».

Suit, en bas de page, la reproduction de la lettre de Sébillot :

Paris, le 15 octobre 1891

« MONSIEUR ET CHER CONFRERE,

Je vous accorde bien volontiers l’autorisation de prendre ce qui vous conviendra dans mon article sur le Crachat et la Salive. J’ai recueilli depuis un assez grand nombre de faits, qui figureront dans un livre que je prépare sur l’Anatomie superstitieuse, et qui serait terminé depuis longtemps sans les lourdes fonctions administratives dont je suis chargé depuis trois ans. Je serai très heureux, à mon tour, de vous citer, et dès l’apparition de votre livre, d’en rendre compte dans la Revue des Traditions populaires.
Veuillez agréer l’assurance de mes sentiments très distingués.
SEBILLOT
 ».


BIBLIOGRAPHIE

Publication des travaux ethnographiques de Mensignac


- 1886-1887. “Notice sur plusieurs coutumes, usages, préjugés, croyances, superstitions, médailles, prières, remèdes, dictons, proverbes, devinettes et chansons populaires du département de la Gironde”. Bulletin de la Société d’Anthropologie de Bordeaux et du Sud-Ouest, tomes III et IV, Bordeaux, Imprimerie A. Bellier, 1888-1889, p. 111-343.

- 1889-1890-1891. “Recherches ethnographiques sur la salive et le crachat. Croyances, coutumes, superstitions, préjugés, usages et remèdes populaires”. Bulletins de la Société d’Anthropologie de Bordeaux et du Sud-Ouest, tome VI, p. 71-182.

- 1892. Recherches ethnographiques sur la salive et le crachat. Croyances, coutumes, superstitions, préjugés, usages et remèdes populaires, Bordeaux, Imprimerie A. Bellier, 115p. (Extrait des Bulletins de la Société d’Anthropologie de Bordeaux et du Sud-Ouest, tome VI, 1890).

- 1925. “Us, coutumes et jeux du Bordeaux d’autrefois”. Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique de Bordeaux, tome XLI, 3e trimestre 1924, Bordeaux, Imprimerie Bière, 1925, p. 9-36.
Article divisé en trois parties respectivement intitulées :
. I - Inhumation des corps d’enfants nouveau-nés dans des tuiles faîtières (ancien usage bordelais et landais)
. II – Coutume du chômage partiel du samedi dans certains métiers à Bordeaux et dans plusieurs paroisses du Bordelais d’autrefois […]
. III – Notice sur l’emploi des pointes de flèches et haches en silex de l’époque préhistorique comme amulettes préservatrices de la foudre, de l’incendie, des attaques d’apoplexie, des morsures de serpent, et pour préserver également les porcs de certaines maladies.

Rééditions posthumes de l’œuvre ethnographique de Mensignac

1977. Coutumes, usages et chansons populaires de la Gironde [titre de la couverture]. Marseille, Laffitte Reprints. (Reproduction en fac-similé de l’édition de Bordeaux de 1886-1887).
La page de garde reprend le titre original de la première édition : “Notice sur plusieurs coutumes, usages, préjugés, croyances, superstitions, médailles, prières, remèdes, dictons, proverbes, devinettes et chansons populaires du département de la Gironde”.

A noter que cette réimpression s’accompagne du questionnaire élaboré par François Daleau en 1884 : « Questionnaire pour recueillir les coutumes, les croyances, les dictons, les légendes, les formulettes, les remèdes populaires, les superstitions et les usages existant encore à la campagne ou à la ville » ; ainsi que des “Notes pour servir à l’étude des Traditions, croyances et superstitions de la Gironde, du même auteur.

1994. Réédition de Coutumes, usages et chansons populaires de la Gironde. Marseille, Laffitte Reprints. (Reproduction en fac-similé de l’édition de Bordeaux de 1886-1887).

2005. Réimpression de Recherches ethnographiques sur la salive et le crachat. Croyances, coutumes, superstitions, préjugés, usages et remèdes populaires. Nîmes, C. Lacour, 115p. (Coll. Rediviva).

Pour en savoir plus…

FERET, Edouard. Statistique générale du département de la Gironde. Première partie : “Biographies”. Editions Feret et fils, 1889.

NICOLAÏ, Alexandre. “Camille de Mensignac” [nécrologie]. Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique de Bordeaux, tome XLIII, 3e et 4e trimestres 1926. Bordeaux, imprimerie Bière, 1929, p. 1-4.


FONDS MENSIGNAC

Aux Archives départementales de la Gironde (Bordeaux)
Dans le fonds François Daleau (cote 2 J/6)
Papiers de Camille de Mensignac : cote 2 J/6 52 136 (110 pièces).





Auteur
Florence Galli-Dupis
Ingénieur d’études CNRS
Lahic/IIAC (UMR 8177)
Archivethno France
2010


Archéologue, conservateur des musées de Bordeaux, il est l’auteur d’une "Notice sur plusieurs coutumes, usages, préjugés, croyances, superstitions, médailles, prières, remèdes, dictons, proverbes, devinettes et chanson populaires du département de la gironde" et de "Recherches ethnographiques sur la salive et le crachat".