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Anthropologie et monumentalité, à propos de la Chartreuse de Villeneuve les Avignon


Reconnu, d’une légitimité fondée et incontestée par l’usage, le monument historique se fond, à partir de sa reconnaissance institutionnelle, dans le paysage de la ville ou du lieu qui l’abrite. Mais cette neutralité ou cette sérénité apparentes taisent ou entendent occulter les problèmes voire les tensions qui ont accompagné, parfois très près de nous dans le temps, le surgissement et la prise en considération d’édifices que les pratiques avaient réduit à une autre fonction que celle de lieu de mémoire qui leur est maintenant affectée. La Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, à travers les péripéties de son destin après la Révolution, nous semble particulièrement exemplaire de la constitution et des transformations de cette mise en perspective. Prise en compte immédiatement dans le mouvement qui accompagne la création du Service des Monuments Historiques, en 1830, elle connaît cependant un sort singulier dont les mouvements et les détails n’ont jamais fait l’objet d’une étude. Alors même que Mérimée, lors de sa première grande tournée en tant qu’inspecteur général du nouveau service, n’a pas de mots assez forts pour décrire l’état de désolation du monument, il faudra attendre le début du XXème siècle pour qu’un architecte, Jules Formigé, convainque la Commission des Monuments Historiques de se lancer dans le sauvetage puis la restauration du monument. Il est évident que les raisons d’une entreprise aussi tardive doivent être éclairées, surtout quand on sait que les édifices religieux avaient été considérés comme prioritaires dans les préoccupations de l’Etat. Pourquoi donc un traitement aussi particulier et aussi tardif a-t-il été réservé à la Chartreuse ? Est-ce un effet de la proximité d’Avignon et des grands chantiers de rénovation et de mise en valeur dans cette cité qui auraient focalisé toute l’attention à son détriment ? Est-ce dû à la situation excentrée de Villeneuve-lès-Avignon qui, malgré son nom, campe au pied du Rhône mais se situe encore en Languedoc ? Enfin l’occupation des lieux par une population souvent modeste depuis la fin du XVIIIème siècle n’a-t-elle pas été un obstacle majeur aux travaux de remise en état ?

La Chartreuse, en effet, comme d’autres est un monument habité. Dès la vente des biens nationaux et des édifices religieux, à Villeneuve comme partout en France, tous les bâtiments sont occupés et détournés de leur fonction primitive à des fins domestiques : ils deviennent lieux de conservation alimentaire, écuries, chambres à coucher… Aussi quand l’Etat décide de la restauration, il doit au préalable procéder à la récupération des lieux. Pour cela il va user des deux moyens classiques qui sont l’expulsion en cas d’absence de droits justifiés ou l’achat des parcelles et des bâtiments encore occupés. Un tel processus s’inscrit nécessairement dans le temps, il s’accompagne aussi forcément de rancœur et d’amertume voire de mouvements de refus ou de révolte. De la même manière quand les architectes vont restaurer ils vont modifier le sens et la vision que la population s’était fait de l’édifice, ces deux dernières données variant, à l’évidence, avec le statut culturel des acteurs villeneuvois, l’érudit local, féru d’histoire, ne participant pas de la même façon aux constructions de la mémoire populaire que le simple habitant

Le propos de l’étude – menée par l’ethnopôle Garae et le Lahic – a donc été double. Dans un premier temps il s’agit de comprendre la dynamique qui a présidé à la mise en valeur du monument, puis de lire les réactions – positives et négatives – d’une population vis à vis de ce qui a pu être vécu comme une dépossession ou bien, et sans doute dans le même temps, comme une reconnaissance patrimoniale. Quelles formes a pris l’imaginaire du monument dans ce mouvement de transformation, quelles réactions a-t-il suscitées, quelles traces a-t-il laissées dans la mémoire contemporaine… ? L’étude, dans un premier mouvement, consisterait à dresser la topographie des sources, qu’il s’agisse des dossiers détenus par l’Etat et la municipalité ou des institutions de mémoire d’origine locale ( confréries, associations, académies.. .). Elle aurait aussi pour fin de situer les informateurs les mieux à même d’évoquer les formes orales de la tradition identitaire. C’est la confrontation de ces deux axes qui devrait permettre de dégager avec plus de précision les lignes d’un projet global qui devrait s’intéresser, dans sa phase ultime, à différentes actions de restitution en liaison avec la population : expositions photos, conférences, animations…


Recherche menée par Jean Pierre Piniès - 2006/2007