L’ethnologie en France sous Vichy

La deuxième Guerre Mondiale et l’occupation nazie ne sont pas des conflits armés comme les autres. Des conceptions radicalement différentes de l’homme se sont affrontées pendant cette période et il était logique qu’un savoir qui a pour objet ultime la compréhension de l’humanité dans sa diversité et son unité fût directement concerné par ce combat. Aux côtés de l’histoire (avec Marc Bloch) et de la philosophie (avec Jean Cavaillès), l’ethnologie fut donc présenté, au premier rang. Elle n’était pourtant pas une matière universitaire mais l’extraordinaire effervescence des années 30 - qui virent la fondation et l’inauguration par le Front Populaire du Musée de l’Homme et du Musée des Arts et Traditions Populaires - a contribué à la faire connaître et reconnaître.

Cependant l’enjeu était d’une nature telle que chacun s’attacha les ethnologues nécessaires à la justification et à l’illustration de ses thèses. Il y eut des ethnologues résistants, des ethnologues collaborateurs des nazis, des ethnologues plus ou moins associés à la « Révolution nationale » pétainiste.

Les premiers se situent dans le prolongement du combat antiraciste d’avant guerre. Ils fondent, dès l’automne 40, le réseau du Musée de l’Homme. Son chef, Boris Vildé, peu de temps avant son arrestation, rendit visite à Joë Bousquet à Carcassonne. Les seconds, véritables idéologues racistes, ont tenté de reproduire en France la doctrine et l’action des anthropologues nazis. Les troisièmes se coulèrent dans le moule de la célébration - des petites patries, du retour à la terre, de l’artisanat traditionnel, des langues et des cultures locales - que favorisait exclusivement l’idéologie pétainiste.

A la libération un grand silence s’est abattu sur cette période, on commence à peine aujourd’hui à entrevoir l’essentiel, à réfléchir surtout sur les conséquences durables que ces engagements divergents eurent sur l’ethnologie dans les décennies d’après guerre.


Par Daniel Fabre,
le 9 juin 1998,
au GARAE.