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Fernand Grébert (1886-1956), pasteur alsacien, missionnaire ethnographe et dessinateur du Gabon

Biographie

Second d’une fratrie de quatre enfants, Fernand Grébert naît le 1er juin 1886 à Schiltigheim, près de Strasbourg, où son père, Martin Grébert, est architecte. L’Alsace étant alors annexée à l’Allemagne, Martin Grébert est arrêté en 1887 par les Allemands pour avoir fait passer des plans de fortifications du Rhin aux Français. Lorsqu’il est libéré, la famille Grébert s’installe à Lyon, puis à Reims jusqu’en 1914.
En avril 1913, c’est à Reims que Fernand Grébert est consacré pasteur des Missions Evangéliques de Paris, après avoir suivi les cours de l’Ecole préparatoire de théologie protestante des Batignolles, puis la formation de la Maison des Missions à Reims.
Entre temps, il a effectué son service militaire dans la fanfare, à Châlons-sur-Marne d’abord, puis dans les Ardennes, jouant du cor d’harmonie dans la fanfare militaire !
Sa vocation missionnaire, le jeune Grébert la doit à sa « chère mère, aux prières silencieuses de laquelle je dois le bonheur d’avoir été appelé à être missionnaire », écrit-il dans sa préface d’octobre 1919 pour son premier ouvrage Au Gabon, publié par la Société des Missions Evangéliques de Paris en 1922.

Le 24 avril 1913, à peine consacré pasteur donc, Fernand Grébert embarque à Bordeaux à bord du bateau “L’Afrique” pour le Gabon, territoire africain de création récente, rattaché auparavant au Congo français. C’est un pays de fleuves et de forêts, la forêt équatoriale source d’un commerce important de bois exotique et de caoutchouc vers l’Europe.
Grébert y rejoint la mission de Samkita, au-dessus de Lambaréné, une mission dirigée par le pasteur Edouard Rambaud, auprès duquel il parfait sa formation de missionnaire et apprend notamment la langue indigène pahouine, le fang.
En 1915, Grébert est nommé à la tête de la station missionnaire de Talagouga, située sur le cours moyen du fleuve Ogooué.
A cette époque, seules quatre missions protestantes existent en Afrique équatoriale, toutes sont placées sous l’égide de la Société des Missions Evangéliques de Paris.
A Talagouga, le jeune missionnaire retrouve le pasteur Samuel Galley, chargé de traduire la Bible en langue fang, auteur également d’un remarquable Dictionnaire Français-Fang et Fang-Français publié en 1964 à Neuchâtel, riche de précieuses notations linguistiques et ethnographiques.

Lors de ses premières vacances en France (les missionnaires bénéficiaient d’un congé tous les trois ou quatre ans pour retourner dans leur famille), Fernand Grébert épouse, le 5 septembre 1917, Alice Mégroz, née à Lyon mais d’origine vaudoise, avec laquelle il repart dès le mois de novembre pour Talagouga.
Ils auront quatre enfants, tous nés en Afrique : Hélène-Marguerite (née en 1918), Nelly (1921), Maurice (1922), puis Odile (1926) qui mourra deux ans plus tard à Douala de la dysenterie. Les trois aînés seront alors élevés à Genève dans leur famille maternelle.

En 1932 Fernand Grébert doit quitter définitivement le Gabon pour des raisons de santé et met un terme à sa carrière de missionnaire en Afrique :
« Le climat étant spécialement débilitant, nous n’avons, bien que « durs à cuire », pu tenir que grâce aux conseils et aux soins du Dr Schweitzer ».

Grébert et sa famille s’installe alors près de Genève (chemin des liserons, Grand-Lancy) mais continue à travailler pour les missions protestantes suisses et françaises jusqu’en 1945, organisant notamment de nombreuses expositions missionnaires sur l’Afrique équatoriale.

Il meurt à Genève le 6 juin 1956, âgé de 70 ans.


Décrire la mission : écrire et dessiner

L’écriture missionnaire

Les missionnaires ont produit quantité d’écrits racontant et justifiant leurs activités quotidiennes et l’évangélisation. Les archives de la Société des missions évangéliques de Paris (SMEP) en témoignent.
Grébert, toujours dans la préface de Au Gabon, est à ce titre parfaitement explicite (p. 6) :
« (…) nous renvoyons au Journal des Missions Evangéliques de ces dernières années pour les récits de tournées d’évangélisation typiques, les récits de conversions, le travail des catéchistes et leur prédication, la description de visites à l’œuvre sociale de la Société Agricole et Industrielle de l’Ogooué. Nous renvoyons également aux Rapports annuels pour suppléer aux questions ecclésiastiques (…) et aux questions scolaires (…), nous en tenant aux généralités que le visiteur est appelé à voir dans ce coup d’œil rapide donné à l’œuvre ».

Créée en 1822, la Société des missions évangéliques de Paris développe une importante activité de publication. Dès 1823, elle se dote d’un bulletin qui deviendra trois ans plus tard le Journal des missions évangéliques, dans les pages duquel paraissent des extraits de correspondance de missionnaires.
De plus, au tout début du XXe siècle, elle crée une collection intitulée « Les récits missionnaires illustrés » dont le premier volume paraît en 1906.

Dessiner l’altérité

Fernand Grébert a dessiné très tôt. On trouve en effet dans le Fonds Grébert du Musée d’Ethnographie de Genève des premiers dessins de qualité, qu’il s’agisse de « Heure délicieuse » à l’Ecole de théologie des Batignolles de 1904, représentant trois élèves musiciens dans le salon de musique de l’Ecole, ou la « Route d’Epernay, une halte aux Cadrans », daté 12 juin 1909, réalisé durant son service militaire, ou encore « Arrivage de poissons » (1907), représentant une scène typique lors de ses vacances à Cayeux-sur-Mer, dans la Somme.

Une partie de son activité éditoriale consiste d’ailleurs à dessiner d’abord pour écrire ensuite, afin de documenter ses dessins :
« J’ai rapporté d’Afrique un album de dessins pour montrer à ma famille des documents sur la géographie de l’Afrique équatoriale, et l’œuvre religieuse parmi les indigènes (…) Des amis des Missions m’ont prié d’ajouter un texte pour compléter les gravures et les expliquer  ». (Préface Au Gabon, p. 5-6)

Dans sa préface Au Gabon, il précise encore (p.6) :
« L’abondance du texte et des illustrations (plus de 400) aurait constitué un volume beaucoup trop coûteux à l’heure actuelle ; il a donc été nécessaire de faire quelques grosses coupures ».

L’œuvre dessinée majeure de Grébert reste néanmoins les deux albums gabonais réalisés de 1913 à 1932 et conservés au Musée d’Ethnographie de Genève (voir leur publication signalée dans la bibliographie : Le Gabon de Fernand Grébert 1913-1932). Ces albums comportent 360 pages et plus de 1500 dessins réalisés majoritairement à l’encre de chine, à l’aquarelle et parfois au crayon de couleur ou à la sanguine.
La table des matières commune aux deux albums fut établie et rédigée de la main de Grébert et débute de la façon suivante :

« 1913-1932. TABLE DES MATIERES des 1500 dessins dont 931 gravures de matériaux sur 10 sujets représentant 46 espèces de documents sur une civilisation autochtone, en disparition, des Fangs ou Pahouins, et dont l’authenticité ne peut plus être reconnue après 1925 [après l’invasion de nombreux commerçants et coupeurs remplaçant les produits d’art indigène par la pacotille ménagère et vestimentaire européenne ; et des objets sont fabriqués sur demande en vue de l’exposition coloniale de Vincennes. 1931.]  ». (En référence à l’Exposition coloniale internationale de Paris qui s’est tenue à la Porte Dorée, sur le site du bois de Vincennes).

Ces deux albums sont organisés en deux parties principales, « Ethnographie » et « Le Pays et les habitants ».
La partie ethnographique traite de l’ « Alimentation de chasse et de pêche », la « Métallurgie », les « Objets de ménage », « Art décoratif, Sculpture », « Musique », « Danse », « Religion », « Locomotion », « Habitation ».
La seconde partie sur le pays et les habitants présente les subdivisions suivantes : « Indigènes », avec « Têtes et Types - Scènes de mœurs - Scènes de danse - Coiffures, cheveux – Tatouages – Plantations – Nourriture – Habillement – Maladies et remèdes ».
« Faune », « Flore », « Géographie », « Mission » et en « Divers » : « Villes et postes », « Commerces », « Lieux autres ».
Suit un index détaillé des scènes et différents objets représentés.

Mais Grébert ne se contente pas de dessiner une véritable encyclopédie du Gabon et de la vallée de l’Ogooué, inventoriant les multiples aspects traditionnels de la vie des Fang, il collecte également des objets pour les musées d’Europe.

Collecter des objets témoins de la culture pahouine

Durant plus de trente ans, Fernand Grébert a largement doté les Musées d’Ethnographie de Genève et de Neuchâtel en objets gabonais.
En ce qui concerne le Musée d’Ethnographie de Genève (MEG), les registres d’inventaire d’avant la seconde guerre font état de 195 pièces provenant du pasteur Grébert.

Les premiers objets à entrer dans les collections du musée sont les “fétiches”, avec notamment les boîtes reliquaires « byeri » que Grébert appelle « boîtes de sorcellerie pahouine ». Mais figurent aussi à l’inventaire les objets de la vie quotidienne, ustensiles de cuisine, outils, armes, articles de chasse et de pêche, instruments de musique, objets de parure, masques, etc.

Si certains objets pouvaient être remis au pasteur lors de conversions, on pense bien sûr aux « byeri », d’autres sont le résultat de véritables commandes, comme le prouve cet extrait de lettre d’Eugène Pittard, alors directeur du MEG, qui demande à l’homme de terrain de collecter :
« (…) des tabourets, des cannes de chef et autres objets sculptés, à condition qu’ils soient bellement décorés (…) Des masques. Permettez-moi d’insister sur ce chapitre. Masques galoa s’attachant sur le visage, masques pahouins formant heaume. J’aimerais aussi avoir tous les accessoires de danse. Mais la figure que vous donnez, p. 92, me donne une furieuse envie d’avoir de ces grands masques, les plus ornés possible, et surmontés par des sculptures ». (Lettre d’Eugène Pittard, du 22 février 1930, à M. le Missionnaire F. Grébert, Mission protestante française à Talagouga. MEG, Fonds Grébert).

La figure du pasteur Grébert offre ainsi une illustration exemplaire de ce qu’était l’activité missionnaire dans la première moitié du XXe siècle, en plus d’un témoignage unique sur la culture fang en disparition.
Quant à son œuvre majeure, l’œuvre dessinée, elle reste un rare trésor patrimonial à redécouvrir.

Bibliographie

Principales publications de Fernand Grébert

1922. Au Gabon (Afrique équatoriale française). Paris, Société des Missions Evangéliques de Paris (SMEP), 226p. (Rééditions 1928 et 1947)

1927. Catéchisme élémentaire en fang. Paris, SMEP, 8p.

1928. “L’art musical chez les Fang du Gabon”. Archives suisses d’Anthropologie générale. Genève, tome V, n° 1, pp. 75-86

1929. Ekomi, histoire d’un écolier pahouin racontée par lui-même aux enfants d’Europe. Paris, SMEP, 60p. (Réédition 1933, 1937 et 1946).

1931. Catéchisme élémentaire. Paris, SMEP, 15p.

1934. N’sime. Fragments de la vie d’une pahouine. Pièce en 3 actes mise en scène par Fernand Grébert, missionnaire, avec musique indigène. (D’après une histoire vécue au Gabon, vers 1923, dans la paroisse de Talagouga). Paris, SMEP

1934. “Arts en voie de disparition au Gabon”. Africa. Journal de l’Institut international de langues et civilisations africaines (Londres), tome VII, n° 1, janvier 1934, p. 82-88

1935. Hygiène et conseils divers pour les Africains de la zone tropicale, mis en pratique avec des moyens trouvés sur place. Paru à Alençon à compte d’auteur, 160p. (Rééditions Paris/Strasbourg, Librairie Istra, 1938, 1945, 1948). Avec une préface d’Henri Gourdon, directeur de l’Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer, et celle d’Eugène Pittard, conservateur du Musée d’Ethnographie de Genève et professeur d’anthropologie à l’Université de Genève.

1940. Monographie ethnographique des tribus Fang, Bantous de la forêt du Gabon (Afrique équatoriale française). Titre de couverture : « Monographie ethnographique des Fang et Galoa du Gabon (A.E.F.) ». Genève, manuscrit dactylographié avec des dessins originaux au crayon de couleur de l’auteur (en 6 exemplaires)

1942. Avema, la petite sœur d’Ekomi. Paris, SME, 60p.

1943. Bika, histoire missionnaire pour les petits enfants. Paris, SME, n.p.

1945. “Ethnographie du Gabon : le fétiche Byéri”. Revue Les Musées de Genève, t. 2, n° 5, p. 3

1949. “Outillage minimum chez les primitifs”. Revue Les Musées de Genève, t. 6, n° 10, p. 3

1952. 12 illustrations de F. Grébert. In : Schweitzer, l’Africain / Ernest Christen. Genève, Labor et Fides.

Principales publications sur F. Grébert

Kaehr, Roland. “Fernand Grébert et sa « Monographie ethnographique des tribus Fang ». In : L’Esprit de la forêt. Terres du Gabon ». Bordeaux, Musée d’Aquitaine / Paris, Somogy, 1997, p. 226-233

Le Gabon de Fernand Grébert 1913-1932. Genève, éditions D, 2003, 359p. (Coll. Sources et témoignages). Reproduction en fac-similé des deux albums manuscrits de F. Grébert (1500 dessins).

Perret, Geneviève. “Le Gabon de Fernand Grébert 1913-1932. Les albums de dessins d’un missionnaire ethnographe”. Journal du musée d’Ethnographie et des ateliers d’ethnomusicologie, n° 37, janvier-avril 2003

Perrois, Louis (ethnologue, directeur de recherche honoraire de l’Orstom). “Les Fang du Gabon vus par les missionnaires dans le premier quart du XXe siècle. L’apport « ethnographique » comparé du Père Henri Trilles (1966-1949) et du Pasteur Fernand Grébert (1886-1956), missionnaires au Gabon”. In : Le Gabon de Fernand Grébert 1913-1932. Genève, éditions D, 2003, p. 20-36

Savary, Claude (ancien conservateur du département Afrique au MEG). “Fernand Grébert au Gabon de 1913 à 1932”. In : Le Gabon de Fernand Grébert 1913-1932. Genève, éditions D, 2003, p. 8-19

Les archives de Fernand Grébert

- Outre les objets africains, le Musée d’Ethnographie de Genève possède les papiers et dessins de Fernand Grébert, donnés au musée par ses enfants. Fonds Grébert

- La Fondation Albert Schweitzer de Strasbourg détient la correspondance de Fernand Grébert avec le célèbre docteur Schweitzer, alsacien tout comme Grébert et fondateur de l’hôpital de Lambaréné.

- La bibliothèque du Défap (Département français d’action apostolique, Paris), qui succède en 1971 à la Société des missions, conserve :
. les archives de la SMEP (1822-1971)
. les archives de la Société Agricole et Industrielle de l’Ogoué (1910-1950)
. les archives personnelles de missionnaires (sermons, conférences, notes et récits de voyage, journaux intimes, travaux de recherche...).





Auteur
Florence Galli-Dupis
Ingénieur d’études CNRS
IIAC / LAHIC (UMR 8177)
2012



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